Discours d’Alain Merly lors de la session du 23 juin 2014
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Chers collègues,
Cette session se tient dans un cadre institutionnel troublé, et un climat de grande incertitude quant à l’avenir de nos collectivités. Vous comprendrez que parler d’avenir dans ces conditions est une notion tout à fait relative.
Le Premier ministre d’abord, à la surprise générale, puis le Président de la République, qui n’a pas voulu être en reste, ont sonné le glas de la collectivité départementale, qui connaît maintenant l’heure de sa mort.
Le Conseil général devrait donc disparaître en 2020. C’est pour nous un crève-coeur, nous qui avons encore en mémoire les actions décisives qui, sous d’autres mandatures, ont propulsé le département. Mais force est de reconnaître que le Conseil général de Lot-et-Garonne, avant que d’être abattu par l’Etat, est aujourd’hui dans un état semi-comateux.
Il suffit pour s’en convaincre de faire le bilan des quelques compétences potentiellement transférées à la région.
Prenons par exemple les routes. Les grands projets de déviation dont vous vous gargarisez aujourd’hui ont tous été décidés, et leur plan de financement acté, par la précédente majorité. Le grand “plan de modernisation des routes” que vous annonciez en grandes pompes est, quant à lui, resté lettre morte.
Pire vous avez laissé se dégrader les routes départementales en réduisant de moitié, depuis 2008, l’investissement en matière de voirie. Les chiffres illustrent cruellement cet abandon : de 41,8M€ investis en 2008, nous sommes passés à 20,6M€ en 2013. – 50% pour les routes du département, c’est cette vérité que vous masquez sans cesse par des effets d’annonce !
Et vous continuez d’entretenir l’illusion en multipliant les études sur des projets que vous n’engagerez pas : la déviation de Casteljaloux, la déviation Sud-Est de Marmande, la déviation Nord-Ouest de Villeneuve, le pont du Mas d’Agenais,… Aucun de ces projets n’aboutira, parce qu’avant même le transfert à la région, vous avez déjà renoncé implicitement à cette compétence !
Autre sujet : les collèges. La précédente majorité a lancé le projet du nouveau collège de Monflanquin. Un projet innovant répondant à la fois aux besoins éducatifs et aux nouvelles exigences environnementales. Qu’avez-vous fait depuis ? Maintenir les établissements en état et faire des restructurations à la marge ? La Région peut tout à fait se substituer au Département pour cela.
Quant à l’économie, domaine pour lequel la compétence du Département va devenir particulièrement contrainte, point de nostalgie non plus tant votre attentisme paraît flagrant. 8,2M€, c’est ce que le Département dépensait en 2008 en matière d’investissement pour le développement économique. Ce chiffre est descendu à 5,5M€ en 2013. Là aussi vous avez abandonné votre compétence.
Alors vous égrenez, à longueur de conférences de presse, les “grands projets” qui devraient changer, à coup sûr, la face du Lot-et-Garonne.
Le Center Parc arrive à point nommé pour vous sauver. Un projet “initié par Pierre Camani” pouvait-on lire, M. le Président, dans votre dernier communiqué de presse. Nous sommes tous d’accord sur l’intérêt de ce projet, qui est une chance pour le Lot-et-Garonne et renforce sa vocation touristique. Mais de grâce, ayez l’humilité de reconnaître votre vrai rôle dans ce dossier ! C’est avant tout la situation géographique du département qui a justifié la démarche du groupe Pierre & Vacances, qui connaissait déjà notre département, notamment avec Daniel Soulage sur Monflanquin.
Vous récupérez donc, bien opportunément, un projet dont vous n’êtes ni l’initiateur, ni le constructeur, mais qu’il est de votre devoir d’accompagner. C’est là votre vraie place, et n’en doutez pas, nous serons en soutien.
Vous avez en revanche, nous le reconnaissons bien volontiers, un rôle moteur dans la création et la labellisation des clusters. C’est une démarche intéressante que beaucoup de départements en France ont déjà engagée. Une démarche, par ailleurs, insuffisante pour garantir l’attractivité de nos territoires. Car si l’identification et l’animation d’une communauté d’entreprises est un acte positif, celles-ci doivent surtout pouvoir trouver sur le territoire les outils de leur croissance.
Et je n’évoquerai qu’en passant le cas du syndicat numérique, que nous soutenons, mais qui est loin aussi d’être une trouvaille. La CODDEM a le mérite d’exister sur un sujet crucial pour nos territoires, mais il vous faudra, M. le Sénateur, porter le débat au seul niveau important dans ce domaine, le niveau national.
Pour résumer la situation de notre collectivité, on peut tout simplement dire que le Département “stratège” est au point mort.
Ce Département innovant, moteur de grands projets comme l’Agropôle, les infrastructures routières, l’aménagement du territoire,… Ce Département n’existe plus, il s’est étiolé en grande partie parce que les hommes ont changé, mais aussi, parce que le contexte général n’est plus le même.
Le Département aurait pourtant son utilité au regard de la crise économique et sociale dont ne parvient pas à sortir le Lot-et-Garonne. Nous sommes actuellement le 15e département le plus pauvre de France. Nous connaissons le taux de pauvreté le plus élevé d’Aquitaine, bien au-dessus de la moyenne nationale. Et le nombre de bénéficiaires du RSA n’a cessé de progresser depuis 2009, à un niveau, là aussi, bien au-dessus de la moyenne régionale et nationale.
Rien dans votre politique n’est venu enrayer cette spirale, et je pense que vous n’avez pas la bonne vision du Lot-et-Garonne nouveau.
Je vous concède la légitimité du désarroi, tant les annonces qui se succèdent ébranlent nos certitudes et nos convictions.
Mais cette absence de vision se traduit, une fois de plus, dans les chiffres de la collectivité. Les dépenses réelles d’investissement sont passées de 82,7M€ en 2008 à 53,3M€ en 2013. -35% d’investissement en 5 ans ! Comment pouvez-vous encore parler d’un “niveau satisfaisant d’investissement” alors que vous savez pertinemment l’ampleur de la baisse ?
Certes la situation financière des collectivités est aujourd’hui difficile. Certes les dotations de l’Etat s’amenuisent, à l’opposé d’ailleurs, des espoirs qu’avez suscité chez vous, M. le Président, les quelques pansements financiers annoncés l’an dernier. Mais il est de votre devoir d’engager les mesures nécessaires pour préserver le rôle moteur du Département.
Pierre Mendès-France a dit, “gouverner c’est choisir, si difficiles que soient les choix”. Or à l’instar du gouvernement, vous refusez de faire les choix difficiles qui redonneraient au Département sa capacité d’action. Votre politique n’a de volontariste que le nom, point d’économies budgétaires et trop d’actions de communication à la gloire de l’exécutif.
M. le Président, vous êtes aux commandes d’un navire qui ne connaît pas son cap. Je concède que si toutes les insuffisances ne sont pas de votre fait, tant la politique nationale est confuse, vous n’agissez pas en capitaine responsable.
Des pistes d’économies existent pourtant. A commencer par les dépenses de personnel, qui ont explosé depuis 2008. Le plan d’administration départementale devrait justement permettre de déterminer les gisements de productivité au sein de la collectivité, et de faire participer l’ensemble des agents à une politique de réduction des coûts devenue inéluctable. Il se cantonne malheureusement à une politique manageriale inutile et caricaturale.
De nouveaux projets pourraient aussi sortir de l’Hôtel Saint-Jacques pour renforcer l’attractivité du Département. Par sa situation géographique, le Lot-et-Garonne pourrait prendre une place importante dans le domaine de la sous-traitance aéronautique. Que fait le Conseil général dans ce domaine ?
L’implantation de structures de formation adaptées à ce domaine de métiers, mais également aux filières d’excellence déjà présentes sur le territoire, permettrait à coup sûr d’inscrire ces activités durablement en Lot-et-Garonne. Il faut pour cela que le Département joue un rôle de coordinateur avec la Région, qui dispose de la compétence en matière de formation professionnelle. Que fait le Conseil général dans ce domaine ?
M. le Président, les questions de fond que nous nous posons pèsent aujourd’hui sur nos débats. Elles en conditionnent le sens, mais n’effacent pas vos insuffisances.
Je vous remercie.
Photo : © XC-CG47