Discours d’Alain Merly sur la réforme territoriale
Monsieur le Président,
Chers Collègues,
“Il y a encore un an, les Départements étaient à la croisée des chemins. Les Conseils généraux sortaient affaiblis d’un quinquennat qui a fragilisé les territoires. Aujourd’hui, la donne à changé. Pour le Lot-et-Garonne, c’est une chance que nous devons saisir.”
“Le Département ainsi réhabilité et conforté retrouve, dès à présent, de nouvelles marges de manœuvre. C’est bon signe pour la démocratie, c’est bon signe pour la ruralité. C’est aussi un gage d’espoir pour tous nos concitoyens qui attendent que nous soyons en capacité de répondre à leurs préoccupations.”
“J’aborderai donc ce débat d’orientations budgétaire avec un nouvel optimisme.”
Telles étaient vos paroles, Monsieur le Président, il y a à peine six mois. L’optimisme qui vous animait alors a dû retomber depuis, car moins de trois mois après vos déclarations, le Premier ministre annonçait la suppression pure et simple des départements. Une annonce inattendue, qui prenait le total contre-pied du discours tenu par la gauche depuis 4 ans.
Nous voici donc engagés, que vous le vouliez ou non, dans un processus de réforme territoriale dont l’un des objectifs est la mort programmée de notre collectivité. Avouez qu’il y a mieux comme perspective d’avenir !
Ce processus s’est engagé sans aucune concertation. Sans aucune consultation des collectivités concernées. Et sans aucune réflexion préalable. Le “Moi Président” est bien lourd à assumer pour celui qui annonçait une gouvernance vertueuse.
C’est la raison pour laquelle, malgré cette démarche autoritaire, il est bon que nous, conseillers généraux de Lot-et-Garonne, prenions la parole, et exprimions notre sentiment et nos attentes à l’égard de cette réforme. Je tiens donc à vous remercier, Monsieur le Président, d’avoir accédé à notre demande de débat.
Mon discours abordera d’abord la méthode, avant de s’arrêter sur le fond de la réforme et ses conséquences pour nos territoires.
En termes de méthode donc, mes chers collègues, je crois que jamais sous la Ve République n’avait été mieux illustrée l’expression populaire “retourner sa veste” !
Revenons en 2010. Au terme d’un large processus de concertation et d’un long travail de synthèse, notamment menés par la commission Balladur, le gouvernement mettait sur pied la réforme du conseiller territorial. Cette réforme, je le rappelle, consistait à fusionner les départements et les régions, en clarifiant notamment leurs compétences. Clarification que vous dénonciez alors avec beaucoup de véhémence parce qu’elle conduisait à la suppression de la clause de compétence générale.
La formule du conseiller territorial, élu à la fois au département et à la région, permettait de réduire le nombre d’élus départementaux tout en ancrant ces élus sur les territoires et en renforçant leur légitimité par le scrutin uninominal.
La gauche, à l’époque, n’avait eu de cesse de critiquer cette réforme et promettait de l’abroger. Bien lui en prit puisque cette promesse rencontra un certain écho chez nombre d’élus locaux mécontents de la réforme, ce qui lui permit de remporter la majorité au Sénat.
Revenue aux affaires en 2012, la nouvelle majorité socialiste tint parole et abrogea la réforme de 2010. Elle rétablit au passage la clause de compétence générale, ainsi que les conseils généraux dans leur forme originelle, tentant de masquer ce recul par une réforme du mode de scrutin aussi complexe qu’incongrue.
Vous ne tarissiez pas d’éloges à l’époque, Monsieur le Président, à l’égard de cette politique qui, d’après vous, redonnait toute sa place au département et modernisait sa composition.
Malheureusement, la débâcle des élections municipales vint contrarier ce grand élan réformateur !
A cet échec cuisant devait répondre un acte fort, d’une ampleur au moins équivalente : une nouvelle réforme territoriale ! Et pas des moindres, puisque dans son discours de politique générale, Manuel Valls annonçait ni plus ni moins que la fusion des régions, la suppression des départements et la fin de la clause de compétence générale. Je le redis : tout le contraire des positions défendues par la gauche depuis 4 ans !
Et pour parfaire l’effet d’annonce, le Président de la République, qui ne voulait pas être en reste, nous confirmait, un peu contraint, ces orientations et la fin prochaine des départements. Une annonce, là aussi en contradiction totale avec les positions qu’il soutenait à peine quelques mois auparavant.
Il déclarait encore, le 18 janvier dernier : “Les départements gardent leur utilité pour assurer la cohésion sociale, la solidarité territoriale et je ne suis donc pas favorable à leur suppression pure et simple comme certains le réclament car des territoires ruraux perdraient en qualité de vie sans d’ailleurs générer d’économies supplémentaires.”
Cette suppression “pure et simple” des départements, c’est pourtant celle qu’il a annoncée il y a quelques semaines, et que préparent les projets de loi présentés au Parlement.
Voilà donc, Mesdames et Messieurs, la genèse de cette réforme territoriale : la simple nécessité politique d’une annonce, au prix d’un renoncement aux engagements passés. Une genèse peu glorieuse, qui ne crédibilise pas la parole politique.
Mais la volonté de supprimer le département faisait face un obstacle de taille : la nécessité d’une réforme constitutionnelle. François Hollande a tout simplement préféré refuser l’obstacle, en renvoyant la suppression effective à 2020. Un nouveau reniement, quelques semaines seulement après ses premières déclarations !
Quant aux régions, dont les fusions allaient être une source intarissable de conflits, l’opération consistait surtout à donner l’impression du mouvement tout en ménageant les susceptibilités régionales. C’est donc pour ménager la chèvre et le chou, et surtout pour satisfaire aux oukases des barons socialistes locaux, que la Bretagne n’a pas vu ses frontières modifiées. Que le Poitou-Charente n’est pas allée vers l’Aquitaine. Et que l’on a créé cet animal hybride : le Centre-Limousin-Poitou-Charente !
Tout cela n’est pas sérieux et suscite beaucoup de mécontentements, venus de tout bords politiques. Majorité comme opposition, nous avons bien conscience du caractère bancal de cette réforme, qui reprend les ambitions de 2010, cuisinées à la sauce socialiste. Une sauce de bien mauvaise qualité, qui provoque beaucoup d’aigreurs d’estomac.
Regardons de plus près son contenu. Fusionner les régions : pourquoi pas s’il s’agit de renforcer leur poids économique et leurs capacités d’action. Mais ces fusions doivent s’organiser. Elles doivent être le fruit de coopérations territoriales déjà actives, et d’une volonté affirmée d’un avenir commun.
Au lieu de cela, François Hollande a choisi d’imposer sa carte, retranscrivant plus fidèlement les rapports de forces au PS que de véritables logiques régionales.
Et comment comprendre que les socialistes, qui accusaient le conseiller territorial d’éloigner élu de ses administrés, prévoient maintenant de supprimer les départements et d’en même temps agrandir les régions. N’est-ce pas éloigner plus encore l’élu de son territoire ?
Concernant la clarification des compétences, c’est évidemment ce que nous attendions, et ce qui était prévu dans la réforme de 2010. Mais pourquoi dès lors reconduire les mêmes modes de scrutin, qui cantonneront les conseillers départementaux à des fonctions presque uniquement sociales ? Ne fallait-il pas fusionner les conseillers régionaux et généraux pour donner un réel pouvoir à ces élus en les ancrant sur le territoire ?
C’était la logique du conseiller territorial. Et c’est à cette formule que le gouvernement serait revenu s’il avait eu le courage de mener à bout sa réforme territoriale. Mais donner raison à Sarkozy n’était pas envisageable.
Vous l’aurez donc compris, Monsieur le Président, chers collègues, nous sommes favorables à la formule du conseiller territorial et la fusion du département et de la région. Il ne s’agit pas là d’une position monolithique. Des débats existent, au sein de nos familles politiques, et au sein même de notre groupe. Mais nous estimons tous que le conseiller territorial représentait une véritable avancée pour l’organisation territoriale de la République, en même temps qu’il permettait une meilleure efficacité de l’action publique locale, et une meilleure représentation de nos territoires.
Quant aux projets de loi qui nous sont présentés aujourd’hui, et qui se trouvent au centre de nos débats. Nous ne les approuvons pas. Non pas parce que nous serions fermés à tous projets d’une majorité qui n’est pas la nôtre. Ces projets de loi ont le mérite de proposer une clarification des compétences que nous appelons de nos vœux.
Nous désapprouvons ces projets de loi parce qu’ils ne vont pas assez loin dans la réforme des collectivités. Je le redis avec force. Cette réforme territoriale est bancale. Elle maintient provisoirement un conseil général dépouillé de ses compétences essentielles. A quoi vont servir les conseillers départementaux élus en décembre 2015, sinon à creuser la tombe du département et organiser les funérailles ? Elle fusionne les régions de façon anarchique, sans même demander leur avis aux élus concernés ! Elle ne donne aucun ancrage territorial à des élus régionaux qui continueront d’être élus par scrutin de liste, dans un anonymat presque total.
Mais surtout elle ne va pas au bout de sa logique, qui aurait été de modifier la constitution pour réformer en profondeur l’organisation des collectivités territoriales. Le Président de la République n’a pas eu le courage d’engager ce chantier, et nous propose en échange une demi-réforme, tellement mal menée qu’elle fait presque l’unanimité contre elle. Même dans l’entourage de François Hollande, et même chez les alliés naturels du PS.
Monsieur le Président, mes chers collègues. Le débat est donc engagé.
Notre position est claire, elle est conforme à nos convictions profondes. Nous attendons la même clarté et la même honnêteté de la part de la majorité.
Je vous remercie.
© XC – CG 47