Municipales : la journée d’un maire
[La Croix, 22 mars 2014]
Alors que le premier tour des élections municipales a lieu dimanche 23 mars, « La Croix » a suivi la journée de Jean-Pierre Moga, maire de Tonneins (Lot-et-Garonne), une ville de 9 000 habitants, qui ne se représente pas.
8 h 30 Le courrier à signer
La mairie vient d’ouvrir ses portes au public. Jean-Pierre Moga, lui, est arrivé un peu avant 7 heures du matin. Il serre les mains et distribue les bises en faisant le tour des services. Âgé de 66 ans, il est le maire depuis treize ans de Tonneins, une ville de 9 000 habitants située entre Bordeaux et Toulouse, où il a toujours vécu. Cet ancien cadre de la Seita est entré en politique « un peu par hasard ». En 2000, il s’est retrouvé en préretraite quand l’entreprise de tabac, alors devenue Altadis, a fermé le site de production lot-et-garonnais dont il dépendait. « J’étais déjà investi dans la vie associative locale et je m’intéressais à la gestion et aux finances, mais je n’avais jamais été candidat à une élection, raconte-t-il. Des amis m’ont dit: “Tu devrais te présenter aux municipales”. J’ai fini par les écouter. »
Classé divers droite sans être encarté, Jean-Pierre Moga a été élu en 2001, puis en 2008, et est également devenu conseiller général en 2011. Il est à la tête d’une institution municipale qui emploie 170 personnes et gère 14 millions d’euros de budget. Ses journées commencent presque toujours par le rituel de la signature des courriers dans son bureau, au premier étage. Empilés sur une table, les parapheurs sont remplis de certificats de paiement, de dates de congés, de contrats à durée déterminée, de demandes de subventions, de rapports de la police municipale… « Mais je ne signe pas tout et je ne lis pas tout, reconnaît-il. Je fais confiance aux responsables des services. » Certaines lettres lui sont adressées personnellement, comme cette missive d’une dame de 90 ans qui se plaint que le caveau familial a été endommagé dans le cimetière.
9 h 30 Un coup de fil au Père Olivier
« Allô, Père Olivier? J’ai vu que tu m’avais laissé un message. On cherche à régler ce problème de gouttière. On va faire nettoyer, mais on n’arrive pas à trouver de solution pérenne. On va essayer de mettre des faux oiseaux sur le toit, comme des faucons. Il paraît que cela marche bien, au moins quelques mois, pour faire fuir les pigeons. » Loi de séparation des Églises et de l’État oblige, la mairie a la responsabilité de l’entretien des trois églises de son territoire, mais pas de la mosquée ni du temple protestant (édifices construits ou reconstruits après 1905). En dehors du nettoyage des fientes qui obstruent les évacuations d’eau, la fin du chantier de réfection de l’éclairage et la réparation d’un tabernacle sont aussi programmées.
10 heures Le comité technique paritaire
Douze personnes sont réunies dans une grande salle au rez-de-chaussée de l’immeuble de Tapol, une ancienne maison bourgeoise de centre-ville rachetée par la mairie. Autour de Jean-Pierre Moga, se trouvent plusieurs de ses adjoints, un élu d’opposition et des représentants du personnel. À l’ordre du jour de ce « comité technique paritaire », un organisme consultatif de la fonction publique, la mise en place des rythmes scolaires. Pour s’adapter, la municipalité a proposé aux agents spécialisés des écoles maternelles (Atsem) d’annualiser leur temps de travail. « Cela vous impose des semaines plus lourdes, mais, après, c’est intéressant, explique le maire, qui préside la séance. Vous aurez les mêmes vacances que les enseignants, moins une semaine. »
Préparé et discuté en amont, le projet est adopté à l’unanimité. Dans la foulée, le représentant de la CGT profite de la réunion pour demander d’institutionnaliser le droit de poser une demi-journée de congé les veilles de Noël et de jour de l’An. « Cela pourrait être votre cadeau de départ », plaisante-t-il. « Cela pourrait être le cadeau de mon successeur », répond Jean-Pierre Moga, qui ne brigue pas un troisième mandat. Finalement, la requête est acceptée et tout se finit par un petit discours du représentant syndical qui dresse un « bilan globalement positif » de ses rapports avec son interlocuteur sur le départ, malgré des « désaccords » et quelques « moments de tension ».
11 h 45 Une maison brûle
« À quel niveau est la Garonne? » De retour dans le hall de sa mairie, Jean-Pierre Moga s’enquiert de l’état du fleuve qui traverse sa commune. Les fortes pluies ont fait monter les eaux, mais rien de grave pour l’instant. À l’accueil, au rez-de-chaussée, un téléphone sonne. On lui passe le combiné. Un incendie s’est déclaré chez un particulier, à la périphérie de la ville. Le premier magistrat décide de se rendre sur place pour avoir des nouvelles. Même si les pompiers ont maîtrisé le sinistre, les dégâts sont importants. « Mais il n’y a pas besoin de relogement », précise un gendarme. Le maire est reçu avec une pointe d’ironie par une jeune femme, membre de la famille touchée par le feu: « Vous êtes là pour les élections? »
Quelques jours plus tôt, Jean-Pierre Moga avait dû se déplacer pour une scène plus macabre: le corps d’une femme a été découvert dans la Garonne, coincé dans un tas de bois contre une pile du pont de Tonneins. « Le plus dur, c’est quand il faut aller annoncer des mauvaises nouvelles chez les gens, reprend-il. Je me souviens de ce jeune qui s’était tué en voiture. C’était un 24 décembre. J’étais allé chez ses parents. Il y avait les cadeaux près de la cheminée. »
Ses administrés se déplacent aussi pour lui raconter leurs malheurs dans son bureau, voire chez lui: « Le maire, c’est un peu le dernier recours. Les gens viennent me voir pour chercher du secours et même juste de l’écoute. Parfois, ils ont tellement de problèmes que, quand je leur demande ce que je peux faire pour eux, ils me répondent: “Rien”. Quatre ou cinq fois en treize ans, j’ai même appelé un médecin tout de suite pour qu’il les reçoive, avant que cela ne se finisse mal. »
14 h 30 Fernande fête ses 100 ans
Jean-Pierre Moga porte un bouquet de fleurs. Il va l’offrir de la part de la municipalité à une résidente en maison de retraite, Fernande, qui fête ses 100 ans. Juste avant de partir, il a pris quelques informations sur la vieille dame pour préparer son discours. L’édile a l’habitude. « Au cours de mon mandat, j’ai dû célébrer entre quinze et vingt centenaires », comptabilise-t-il. Il a aussi amené dans sa poche la médaille de la ville. La petite cérémonie est suivie d’un « joyeux anniversaire » interprété par un guitariste et un accordéoniste.
À peine sorti de la maison de retraite, il est rattrapé par les réalités du moment. Sur la place, en face de l’établissement, un des responsables des services techniques interpelle son « patron ». Il est en grande discussion avec des agents de la police municipale. Il s’agit de décaler de quelques mètres les emplacements du marché, à cause de travaux. « Combien de temps cela va-t-il durer? », demande le maire. « Dix mois », lui répond-on. « On mettra douze sur l’affichage, comme cela, on sera tranquilles, reprend-il. Et ne mettez pas d’emplacements de l’autre côté de la route. Ça va poser des problèmes de sécurité pour traverser. »
Les travaux en question sont liés à la démolition de quatre maisons du centre-ville bâties sur les bords de la Garonne. Un éboulement de terrain les rend inhabitables. Deux autres vont devoir être consolidées. L’affaire dure depuis six ans. La veille, une réunion en mairie avec les propriétaires concernés s’est terminée à 23 heures, pour entériner un accord. « C’est un dossier extrêmement pénible et difficile humainement », commente l’élu.
15 h 10 Aux services techniques
Les services techniques de la mairie sont installés dans une ancienne usine de chaussures, située dans une zone d’activité, à la sortie de la ville. En y allant, Jean-Pierre Moga s’est aperçu que l’entrée de l’ancien bowling, désormais désaffecté, est ouverte. La planche qui obstruait l’accès a été cassée. « Il faudra refermer, et avec du solide », prévient-il en arrivant dans les locaux. Puis, il se met à la recherche de l’objet de sa visite: une vieille machine qui servait à fabriquer des blagues à tabac, récupérée grâce à un ancien collègue de la Seita. Elle vient d’arriver par camion dans l’ex-fief du tabac après avoir failli finir à la ferraille en région parisienne.
La « trouvaille » a été rangée dans un atelier. « Vous vous rendez compte comme c’est beau?, s’exclame le maire amoureux des vieilles voitures et des belles mécaniques. Elle doit dater de 1900 et peser une tonne. » La machine doit ensuite être exposée à La Manoque, le complexe culturel, une des principales réalisations de ses mandats: « Je suis aussi suppléant d’un sénateur. Il me dit qu’au Sénat, on discute des heures pour une virgule. Dans une mairie, c’est plus concret, on voit les choses avancer, et le maire a des compétences générales, il peut s’intéresser à tout. »
16 heures Un moment de pause
De retour à la mairie, Jean-Pierre Moga se plonge dans la lecture du quotidien Sud Ouest, après avoir avalé une grande rasade d’eau. « Un bon maire doit lire le journal », philosophe-t-il. Il est assis dans le fauteuil de cuir noir de son prédécesseur, en poste durant vingt-quatre ans, dont il a hérité les meubles et la décoration. Des cartes postales agrandies du « vieux » Tonneins ornent les murs. La lecture est vite interrompue par un coup de téléphone. Puis, c’est le correspondant local de Sud Ouest qui vient, en personne, vérifier une information concernant la campagne électorale en cours.
18 h 30 Quel nom choisir?
Cette fois, le maire de Tonneins s’est assis dans une mairie qui n’est pas la sienne, à Fourques-sur-Garonne. Il participe à une réunion concernant la communauté d’agglomération dont est membre sa ville, Val de Garonne agglomération (VGA). La structure regroupe 61 000 habitants et 42 communes, la plus peuplée est Marmande, dirigée par le PS. « Parfois, il faut faire une heure de voiture pour aller à un rendez-vous à l’autre bout de ce territoire, souligne Jean-Pierre Moga. Mais la communauté, c’est incontournable dans la vie d’un maire. Elle a pris beaucoup d’importance pour les subventions. Bien sûr, il faut faire attention de ne pas se faire manger par plus gros que soi, mais cela se passe plutôt bien. À un moment donné, il faut bien mutualiser des services qu’on ne pourrait pas s’offrir seuls. »
Les débats sont consacrés à un projet de coopération culturelle financé à hauteur de 114 000 € par l’Union européenne dans le cadre des programmes Leader, destinés aux zones rurales. Une dizaine de villages de « l’agglo » planchent sur un parcours artistique qui doit être installé cet été sur une trentaine de kilomètres le long du canal qui double la Garonne. Les discussions commencent par des échanges sur le nom à donner à l’opération. Canaletto? Artère? Artéral? Canal Art Paysage? Tonneins n’est pas concerné, mais son maire fait partie du comité de pilotage. Il penche pour Artéral. C’est la proposition finalement retenue.
20 h 50 Retour à Tonneins
Jean-Pierre Moga s’approche de sa cité natale, au volant de sa Peugeot 308 blanche. La réunion intercommunale ne s’est pas trop éternisée. « Finalement, j’ai eu une journée plus courte que prévu, badine-t-il en conduisant. C’est la fin du mandat, c’est plus calme. » À vrai dire, il lui reste tout de même à passer à la réunion d’un de ses adjoints, qui vise sa succession. « J’avais promis dès mon premier mandat que je n’en ferais pas plus de deux et j’ai renouvelé cette promesse en 2008, rappelle-t-il. Je n’ai pas souhaité non plus être sur la liste de mon adjoint, pour ne pas le gêner. Autour de moi, des tas de gens me disaient pourtant d’y retourner. Ils me disent aussi: “Qu’est-ce que tu vas faire?” Mais il faut savoir tourner la page et laisser la place à d’autres. C’est vrai, ce n’est pas facile d’arrêter. C’est comme quand on part à la retraite, cela va me manquer. Surtout que je ne me sens pas usé. On perd aussi un peu de son statut social, il faut l’avouer. Ce n’est pas une décision que je viens juste de prendre. J’ai eu le temps de me faire à l’idée et j’ai beaucoup de passions, des petits-enfants et un autre mandat de conseiller général. Je pourrai continuer à servir mes concitoyens d’une autre manière. »
PASCAL CHARRIER, à Tonneins (Lot-et-Garonne)