« Nous ne pouvons pas accepter que les Lot-et-Garonnais payent plus d’impôt »
Discours de Guillaume Lepers en session budget primitif rectifié.
Monsieur le Président,
Chers collègues,
Lors de la session budgétaire, le 3 avril dernier, j’avais dit que le budget primitif présenté était insincère, qu’il contrevenait en cela aux règles fondamentales du droit public et que nous courrions le risque d’une mise sous tutelle.
Monsieur le Président, vous m’aviez alors répondu, je vous cite, que j’étais dans « la démagogie la plus vile », que je voulais « faire peur » et « plaire aux médias ». Ce sont vos mots.
Monsieur le Président, qui avait raison ? Qui avait la bonne analyse ? Qui était dans la démagogie ?
Je ne souhaite pas, en posant ces questions, donner de leçons à qui que ce soit. Je souhaite simplement vous inciter à plus de modestie, et surtout à moins de mépris à l’égard de votre opposition.
Les propos que vous avez tenus lors de la dernière session étaient particulièrement violents, et la situation nous confirme qu’ils n’étaient en rien justifiés. J’attends donc que vous les retiriez.
Mes chers collègues, la situation de notre collectivité est très grave, et nous n’avons pas attendu cette session pour le souligner. Permettez-moi encore de revenir sur nos échanges passés.
Il y a à peine cinq mois, en débat d’orientation budgétaire, je vous avais dit textuellement : « Nous risquons le défaut de paiement à la fin de l’année. C’est maintenant qu’il faut agir. » Je vous avais incité à prendre enfin le mesure de la situation. Vous nous aviez répondu que nous étions, encore une fois, dans la « démagogie la plus dure » et que notre discours n’était « pas crédible aux yeux des Lot-et-Garonnais. »
L’an dernier, lors du débat budgétaire, je vous avez dit très exactement : « Notre situation financière est catastrophique et nos marges de manœuvre inexistantes. » Et je vous avais demandé d’être « à la hauteur des enjeux ». Vous m’aviez répondu, Monsieur le Président, qu’il s’agissait d’une « position démagogique », encore, et que mon discours était « excessif, déconnecté de la réalité. »
Dès 2015, dès le début de ce mandat, je vous avais demandé de réagir en expliquant, je cite encore, que « les capacités d’action du Département (étaient) considérablement réduites. » Vous me répondiez que j’étais dans « la critique peu fondée ».
Cela fait des années que nous tirons la sonnette d’alarme. Et si la Chambre régionale des comptes reconnaît simplement, je cite, « une recherche d’économies au cours des exercices précédents », les efforts n’ont pas été à la hauteur des risques.
Vous auriez dû réviser, non pas quelques régimes d’aide, mais l’ensemble des régimes comme nous vous le proposons depuis longtemps. Vous auriez dû renoncer à la gratuité du transport scolaire, comme le feront bientôt vos amis socialistes la Région, qui nous coûte un million et demi d’euros par an depuis 2008. Vous auriez dû renoncer aux chèques déjeuner, qui coûte 350 000 euros par an. Vous auriez dû réduire le nombre de fonctionnaires de catégorie A, qui a plus que doublé depuis 2008.
Sans doute que ces mesures n’auraient pas suffi pour éviter la hausse de fiscalité, mais elles auraient peut-être pu l’atténuer.
Alors non, vous n’êtes pas seuls responsables Monsieur le Président, chers collègues de la majorité, de la situation que nous vivons. Mais vous devez assumer, sans langue de bois, sans arguties, votre co-responsabilité.
L’autre responsable, c’est évidemment l’Etat. Je parlais, dans mes interventions récentes, de maltraitance institutionnelle, expression que vous réfutiez à l’époque Monsieur le Président, mais l’avènement d’un nouveau gouvernement vous a déjà fait changer d’appréciation.
La liste des coups portés par l’Etat à la collectivité départementale est pourtant longue et je n’en citerai qu’une infime partie :
- baisse de la dotation globale de fonctionnement ;
- baisse des dotations de compensation des exonérations de fiscalité ;
- augmentation du point d’indice de la fonction publique ;
- augmentation du RSA ;
- augmentation des mineurs non-accompagnés à la charge du Département ;
- protocole PPCR…
Voilà simplement quelques exemples des mesures prises au cours des cinq dernières années : des réductions de ressources et des augmentations de charges.
Et la question que nous posons aujourd’hui est simple : cela va-t-il continuer ? Au cours de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a clairement dit qu’il demanderait de nouveaux efforts aux collectivités.
La rencontre de ce matin entre le Président Macron et une délégation de l’ADF, à laquelle vous avez participé Monsieur le Président, donne effectivement des pistes pour l’avenir, des espoirs pour les départements, mais rien de concret pour l’instant.
La « Conférence des territoires » attendue pour le 17 juillet apportera peut-être, nous l’espérons, des perspectives plus précises que celles évoquées ce matin.
Pour l’instant une chose est sûre : en dépit de votre rencontre avec le Président de la République, les Lot-et-Garonnais subiront une augmentation de plus de 20 % de la part départementale de la taxe foncière. Ils subiront une baisse des subventions aux associations. Ils subiront une baisse de l’investissement départemental. Et les déclarations des uns et des autres n’y changeront rien.
Cependant, je tiens à vous le dire, Monsieur le Président, votre attitude nous interroge. Votre communication, emprunte de modestie comme toujours, vous érige en grand défenseur des départements ruraux. Et ce positionnement appelle plusieurs questions.
Monsieur le Sénateur, n’avez-vous pas soutenu les lois de finances votées ces cinq dernières années, et qui prévoyaient les baisses de dotations que nous connaissons ? N’avez-vous pas soutenu la loi NOTRe, qui s’est traduite par la perte de compétences essentielles pour nos territoires ? N’avez-vous pas soutenu la politique du gouvernement qui a conduit à une hausse sans précédent du chômage, et donc de nos dépenses sociales, au cours du précédent quinquennat ?
N’avez-vous pas critiqué l’ADF, quand elle refusait le marché de dupe proposé par le gouvernement, qui entendait recentraliser le RSA sur la base des dépenses de 2014 ? Et pourquoi, Monsieur le Président, n’êtes-vous pas allé voir le Président de la République à l’époque ? Alors même que vous connaissiez bien un certain ministre de l’Intérieur, chargé entre autres des collectivités, et qui n’a pas franchement fait avancé la cause ? Pourquoi n’avez-vous pas fait partie des présidents de conseils départementaux qui sont allés rencontrer le Premier ministre en février 2016 pour demander, justement, un changement d’attitude de l’Etat ?
Ces questions Monsieur le Président, Monsieur le Sénateur, vous les jugerez sévèrement, mais elles sont légitimes au regard de votre positionnement actuel. Et la réponse nous semble claire : vous qui vous érigez aujourd’hui en défenseur des départementaux ruraux, pendant cinq ans, avec vos amis du gouvernement, vous avez été les fossoyeurs des départements ruraux.
Nous voici donc aujourd’hui dans l’impasse. Une situation inédite, puisqu’en dépit des difficultés que rencontrent de nombreux départements, nous sommes aujourd’hui le seul à faire l’objet d’une procédure de mise sous tutelle. Et depuis les lois de décentralisation, la tutelle n’a été appliquée qu’à deux reprises pour des départements.
Pour l’éviter, il nous faudrait donc adopter ce budget rectificatif. Un budget qui, vous nous l’avez expliqué en commission de refondation, a été élaboré « main dans la main » avec la Chambre régionale des comptes.
Ce budget, il signe l’arrêt de mort de notre collectivité. Il éteint définitivement le moteur du territoire qu’était le Département. Il l’achève en quelques sortes, car depuis quelques années déjà, ses interventions n’ont fait que disparaître :
- suppression de l’aide aux bâtiments communaux ;
- suppression de l’aide aux équipements sportifs, aux bâtiments scolaires, aux parcs locatifs communaux ;
- suppression de l’aide à l’encadrement des centres de loisir ;
- suppression de l’aide à l’équipement informatique des écoles ;
- suppression de l’aide aux crèches publiques ;
- suppression du « Tremplin rural » ;
- suppression de la prime de Noël aux parents privés d’emploi ;
- suppression de l’aide au patrimoine non-protégé ;
- suppression de l’aide à la voirie communale (RKG) ;
- suppression du financement des déplacements des écoles primaires ;
- suppression de l’aide à la création d’aires d’accueil des gens du voyage ;
- suppression de l’aide aux équipements culturels ;
- suppression de l’aide aux études préalables d’opérations de restauration immobilière (ORI) ;
- suppression de l’aide à la voirie communale sinistrée,…
S’y ajoutent les pertes de compétences prévues par la loi NOTRe, qui nous retire le transport de voyageurs, le transport scolaire, l’agriculture et surtout le développement économique, que la Région semble rechigner à assumer au niveau où nous le faisions.
Monsieur le Président, faut-il être naïf ou complaisant pour encore dire que le Département est le moteur du territoire ? Et il le sera moins encore après l’adoption de ce budget, puisque nous allons encore réduire nos interventions.
On nous enjoint de supprimer plus de 2 millions d’euros d’interventions dans le social, dans l’économie, l’agriculture, l’éducation, le sport ou encore la culture. On nous enjoint de retirer notre participation financière à des structures essentielles pour le territoire. Et j’évoquerai en particulier la ligne aérienne Agen-Paris, qui est déterminante, j’insiste, pour les entreprises lot-et-garonnaises, et c’est un homme d’entreprise qui vous le dit !
On nous enjoint de réduire notre investissement à l’étiage, bien que sur ce point, nous y soyons déjà arrivé en 2016. On nous enjoint d’augmenter notre dette de 15 millions et demi d’euros sur ce seul budget.
On nous enjoint enfin d’augmenter la fiscalité qui pèse sur les Lot-et-Garonnais de plus de 15 millions d’euros.
Je le redis, ce budget signe l’arrêt de mort de notre collectivité. Et le pire, c’est qu’il ne règle rien pour l’avenir !
L’an prochain, comment bouclerons-nous notre budget si les dépenses sociales continuent de progresser ? Comment ferons-nous si des charges nouvelles nous sont encore imposées ? Mais surtout, comment dégagerons-nous de nouvelles marges financières pour investir et assurer les services essentiels aux Lot-et-Garonnais ? La balle est dans le camp du gouvernement.
Et j’en arrive à un autre constat sur lequel nous nous rejoignons, celui de l’inégalité croissante entre les départements. Nous ne pouvons pas accepter que certains départements, pourvus de recettes fiscales dynamiques, multiplient les investissements et les services à la population quand, dans un département comme le nôtre, nous sommes acculés à n’être qu’un tiroir-caisse pour les allocations de solidarité.
La solidarité que l’Etat impose pour les individus, il ne l’assume pas pour les territoires !
Faut-il plus de péréquation, de nouveaux financements de l’Etat ou une révision de l’architecture territoriale ? Nous attendons que ce nouveau gouvernement fasse enfin bouger les lignes, et qu’il apporte de réelles solutions à l’inégalité territoriale croissante.
Mais dans l’immédiat, l’issue qui nous est proposée n’est pas acceptable.
Nous ne pouvons pas accepter que les Lot-et-Garonnais payent plus d’impôt que les autres pour avoir moins de services, de subventions, et d’investissement.
Nous ne pouvons pas accepter que l’on paye 17,46 % de taxe foncière en Gironde et 27,66 % en Lot-et-Garonne, tout en bénéficiant de moins d’infrastructures et de services publics que nos voisins.
Alors Monsieur le Président, chers collègues, face à l’ampleur de l’injustice et l’inertie de l’Etat, nous devons à présent faire un choix difficile. Ce choix engage notre responsabilité d’élus, puisque nous avons été désignés par nos concitoyens pour défendre leurs intérêts.
Notre groupe ne votera pas ce budget primitif rectifié. Il refuse de faire payer les Lot-et-Garonnais pour une situation dont ils ne sont pas responsables. Et en cela, il demande à l’Etat de prendre ses responsabilités en prenant la tutelle administrative du Département.
C’est une décision difficile, nous le savons. Mais c’est une décision que nous prenons en responsabilité, parce que nous croyons que seuls des actes forts pourront inciter le gouvernement à agir.
Je vous remercie.
Photo : DR.